dimanche 28 septembre 2014

Combat numérique et combat en zone urbaine



L'étude de la "cyberconflictualité" ou, plus précisément, du combat numérique conduit régulièrement à développer des analogies et des comparaisons. Si au niveau stratégique le parallèle avec les espaces lisses et les théories navales peut sembler pertinent[1], au niveau tactique la guerre numérique subit de nouvelles contraintes qui l’éloignent du milieu maritime. 
L’affrontement tactique, et singulièrement sa déclinaison offensive, laisse apparaître de nombreuses similitudes avec le combat en zone urbanisée (ZURB). Ainsi, pénétrer un réseau ou un système d’information peut s’apparenter à l’assaut d’une zone construite. Dans les deux cas, l’assaillant subit les contraintes fortes d’un milieu qu’il ne maîtrise pas. Cartographie imparfaite, rupture de continuité dans les actions, cloisonnement extrême, rendent donc l’approche complexe et la conduite toujours hasardeuse. 


La vision « militaire » de la zone urbaine présente de troublants parallèles avec le milieu numérique. On peut ainsi, dans le texte ci-dessous, aisément substituer à l’expression « zone urbaine » le mot « cyberespace » sans que le sens en soit altéré.

« La zone urbaine est le lieu de pouvoir politique, social et économique, puisque s’y concentrent population, infrastructures et activités secondaires et tertiaires. Contrôler les villes est donc une condition nécessaire à l’exercice du pouvoir. La zone urbaine est aussi celle du pouvoir moral, culturel ou religieux. Il est des villes symboles parce que liées à des éléments d’identité des peuples. »[2]

Le système d’information (SI) cible serait donc le pendant de la zone urbaine adoptant une même logique de découpage zonal et fonctionnel. Un SI a donc, comme une ville, des zones de stockage, des zones de services, des zones de transit, des accès limités et contrôlés, un périmètre. Par ailleurs, l’extrême diversité des zones urbanisées fait écho à celle des architectures de systèmes d’information. Villes moyennes, villages, lotissements, centres historiques, périphéries sont autant de paysages urbains distincts qui pourtant imposent des modalités tactiques communes. L’abordage d’une localité comme le bréchage d’un système d’information se heurte donc aux mêmes difficultés locales. La zone des approches (généralement ouverte) est peu sûre et le risque de détection y est important, par ailleurs il y a une discontinuité de milieu à maîtriser et à anticiper dans les deux formes de combat : on passe de l’extérieur vers l’intérieur d’une construction. Enfin, on note de facto l’emploi d’un vocabulaire très similaire : approche, bréchage, pénétration, périmètre, accès et contrôle d’accès.

Dans les deux formes de combat, le milieu impose des contraintes lourdes aux acteurs.



De fortes contraintes liées au milieu 

En premier lieu, l’importance de la cartographie se révèle critique. Il s’agit ainsi non pas simplement d’identifier des lieux sur une carte, mais bel est bien de comprendre l’architecture de la zone à aborder, son organisation logique et donc les points clefs à saisir ou à défendre, les points de passages obligatoires et ceux qui peuvent être contournés… Dans les deux combats, la connaissance de la cible conditionne directement l’articulation des moyens et le mode opératoire. Chaque bâtiment (ou chaque serveur et application) va nécessiter la mise en œuvre de techniques adaptées. Les contraintes liées au milieu s’incarnent également dans la variété des équipements et des configurations.

L’humain redevient un acteur essentiel

Alors qu’au niveau stratégique le facteur humain pesait peu, l’étude des modalités tactiques souligne sa prégnance. Ainsi, le combattant « numérique » est soumis à de très fortes contraintes qui relativisent la supériorité théorique de l’attaquant. Les pressions liées à la nécessité d’être toujours « à jour » des connaissances et des pratiques techniques, l’impact d’une simple erreur sur l’ensemble des opérations, la distance entre l’acteur et la cible, sont autant de paramètres qui influent sur la psychologie de l’opérateur.
On découvre par exemple aujourd’hui que les limites à l’emploi des drones en zone de conflit sont bien souvent liées aux fragilités psychologiques de leurs « pilotes ». Le parallèle n’est pas totalement vrai pour le combattant numérique, car il n’est pas confronté « au choc des images » déportées, ni même à la mort donnée à distance (du moins pour l’instant). Toutefois, la pression existe bel et bien, la peur de l’erreur, la crainte de la détection, la perte de contrôle… La ressource humaine est donc soumise à un niveau de stress important qui rend sa gestion critique dans la durée.

Combat au cœur des structures civiles : dualité des cibles

L’action numérique vise des structures, des réseaux, des automates qui, pour être d’intérêt, ne sont pas forcément proprement de nature militaire. Comme le combattant en zone urbaine, l’objet de la manœuvre n’est plus une structure adverse ou une unité mais un lieu de pouvoir, ou symbolique (la prise du Reichstag, la radiotélévision, l’usine de tracteurs Dzerjinski à Stalingrad,…). La dualité des cibles a donc des conséquences juridiques et éthiques pour le combattant numérique, mais impose surtout de maîtriser un ensemble beaucoup plus vaste de connaissances. Le combat dans ce milieu surexpose par ailleurs les forces armées au jugement des opinions publiques.

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Combat numérique
Combat en ZURB
Points clefs
Conception très centralisée, exécution décentralisée.
Conception hyper centralisée, exécution décentralisée.
Dualité des cibles.
Discrimination difficile, combat au sein des populations.
Contraintes
Contrainte d’un milieu « non cartographié », combat dans un milieu « non déterministe », rupture de continuité (différents matériels, langages, protocoles).
Forte contrainte d’un milieu cloisonné. Ruptures de continuité, immeubles, étages, réseaux souterrains…
Contraintes humaines :
La ressource humaine nécessaire à la conduite des opérations est rare. Les techniques évoluent rapidement et nécessitent un maintien des compétences.
Incertitude et stress de l’exécutant qui craint d’être détecté. Isolement psychologique, usure.
Contraintes humaines :
Combat au sein des populations, usure physique rapide du combattant, isolement conséquence de la décentralisation de l’exécution.

Impératifs
L’exécution doit être autonome dans son action (pas de subordination opérationnelle).
Disposer de capacités locales d’ingénierie.
Préserver la liberté d’action des petits échelons. Assurer la coordination interne.
Disposer d’une articulation interarmes au plus bas niveau.


[1] Cette analogie est pourtant contestée et nuancée. Plus qu’un espace lisse, le cyberespace serait un espace de flux.
[2] Tactique Générale, Armée de Terre, Centre de Doctrine et d’Emploi des Forces.

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